5.6.17

The retour


Dio Mio.

Presque trois ans passés sans un shtout de pondu, sans une boutade lancée, sans une série de fautes d’orthographe qui vous picote les yeux.

Presque trois ans passés, sans que vous n’ayez pu rire...
Des mois entiers sans espoir de me lire...
Des semaines sans fin à tenter un sourire,
Et des jours pauvres, sans une de mes aventires (juste pour la rime).

Perchè? Perchèè ? Perchhèèèè ?

La Flemme.
Tout simplement.

Cette flemme tu ne l’as connais peut-être pas intimement comme moi, mais tu l’as forcément croisée dans ta vie.

C’est celle qui t’affirme qu’elle a lu un article dans l'hebdo “DANTE DENT”, dans lequel il n’est pas forcément prescrit de se brosser les dents tous les jours.
C’est celle avec qui tu argumentes pendant quelques minutes, une fois allongé dans ton lit, sur cette question existentielle : “pipi or not pipi?”
C’est celle qui te persuade parfois que de courir c’est mauvais pour les genoux et le dos.
C’est celle qui te fait manger un croûton de pain et un vieu morceau de fromage pour dîner, parce qu’elle te garanti que le supermarché est bien plus loin que tu l’imagines et que le bleu sur le fromage c’est naturel, c’est pas du moisi.
C’est celle qui te recommande d’ouvrir un paquet de riz de la manière la plus foireuse possible, parce qu’elle te rappelle que les ciseaux sont à l’opposé de ton appartement.
C’est celle qui te pousse à ramasser tous les grains de riz tombés par terre avec ton pied, ou de les balayer d’un geste gracieux, parce que le balais est avec les ciseaux, à l’opposé de ton appartement.

La Flemme c’est la meilleure copine de l’Impatience.
Elles se trimballent toujours ensemble, il y en a pas une sans l'autre.

Je n’ai toujours pas réussi à parler à Impatience, elle est toujours occupée et j'avais pas que ça à foutre.

Mais j’ai réussi à avoir une sérieuse discussion avec la Flemme.
Elle m’a dit qu’à présent elle serait moins envahissante et qu’elle fera de son mieux pour me laisser tranquille.

J’espère qu’elle tiendra sa promesse.


30.12.14

Yiddish Mamma

Nous sommes le 29 décembre, il est environ 16h30 et le soleil commence à s'éteindre.
Oui le soleil s'éteint, comme une lampe.
Depuis quelques semaines se prépare la production du prochain film, et sont présents dans nos bureaux les responsables de l'organisation.
Principalement deux jeunes femmes, Lior et Inbal.
Elles s'ajoutent donc aux éléments journaliers de la société: le big boss, "M" le fils du big boss (celui ci souhaite gardé l'anonymat) Eva, et moi même.

Toute la petite équipe s'entend à merveille, et une journée banale et commune touche à sa fin.
La nuit arrive timidement, les fenêtres sont fermées une à une car on ressent de plus en plus la fraîcheur des jours d'hiver, les cernes se creusent sur certains visages, bref ai envie de me casser pour manger un hamburger (prévue le soir même entre copines) et donc d'abréger les quelques heures à venir.

Soudain, Eva, au téléphone avec sa mère (elle parle russe seulement avec sa mère) élève la voix. Même si ce langage m'échappe, je reconnais les signes d'une grosse colère ou d'une crise de nerfs. Plus la voix d'Eva s'élève, plus celles du bureau se font discrètes, je suis la seule dépourvue de camarade téléphonique et toutes les personnes présentes autour de moi sont en ligne.
La conversation d'Eva se fait de plus en plus haché, on comprend que sa mère argumente de l'autre côté du fil, et les sanglots viennent s'ajouter aux cris précédents.
Les sanglots sont là sans être là, on peut sentir qu'ils vont faire très vite leur coming out.

Le Derrick qui est en moi comprend alors que ça sent le sapin (ou le pâté, ou le pâté au sapin, ou le sapin tartiné de pâté) bref que ça sent le roussi grave!
Je me redresse alors avachie sur ma table, Inbal dans le bureau situé derrière moi sort de son trou, toujours pendue à son téléphone portable, Lior en face d'Eva se retourne, Eva dans le coin du bureau est hors de ma vue, les premières larmes commencent à sortir, les sanglots nous empêche de comprendre ce qu'elle dit (oui juste les sanglots car nous sommes évidemment tous bilingue russe) la colère a fait place à la détresse, nous attendons le signal: qu'elle raccroche.

Lior se met droit devant elle, Inbal raccroche mais reste encore près de moi, je me lève (et enfile mes chaussures que je déchausse pour plus de confort) et nous nous regardons les yeux écarquillés.
Le ciao à la russe est là, suivi du téléphone qui s'abat violemment sur le combiné, telles des gazelles d'Afrique poursuivies par des lions, nous accourons vers Eva, affaiblie et rouge de pleurs elle se lève et rassemble ses affaires!

L'heure est grave, Inbal lui demande si tout va bien et je comprends alors: "Ma mère est morte..."

Silence, Inbal va chercher un verre d'eau à Eva.
Je comprends alors qu'elle parlait à son père (que je croyais disparu) et que les mots ne seront jamais assez forts pour la réconforter.

Eva boit une gorgée, Lior (qui connait beaucoup moins Eva) dit alors "ié besseder" (tout ira bien). Comment peut elle oser dire ça ? Inbal demande à la pauvre femme affaiblie "en es tu sûre?" je crois que c'est plutôt clair quand quelqu'un passe de l'autre côté, je cherche comment dire "mes condoléances" en hébreu et essaye de ne pas gêner Eva qui de gauche à droite tente de retrouver ses clés de voiture. Je suis plus choquée par la manière dont les filles prennent la chose plutôt que la triste nouvelle elle-même. M. alors arrive à grands pas et Lior lui glisse un discret rapport de la situation. M. lui demande "tu en es sure depuis combien de temps?", mais au bon D.ieu depuis quand demande-t-on des choses pareilles?

Lior recommence à travailler et Inbal me regarde désorientée. M. tente de raisonner Eva en lui demandant comment elle peut en être sure...

J'entends Eva lui répondre qu'elle ne répond pas au téléphone depuis une heure, et qu'elle devait être arrivée chez sa grand-mère depuis 40 minutes déjà. Elle, sa fille de 13 ans, elle l'adolescente qui était chez une amie rencontrée dans le bus en chemin pour sa mère grand, elle qui n'entendait pas son téléphone sonner dans son sac....

Non sa mère n'est pas morte, sa fille a juste disparu.

En entendant la bonne nouvelle je lâche donc un ouffff de soulagement et esquisse un sourire.

A ce moment là, la fille n'avait toujours pas donné signe de vie, la nuit avait pris siège et la pluie la rejoignait... Trois yiddish mamma étaient présentes dans le bureau, Eva, le big boss et M son fils.
Les dix minutes suivantes étaient un supplice, un enchainement de suppositions foireuses quant au destin de la jeune adolescente, parmi lesquelles: "elle a glissée dans la rue à cause de la pluie et son portable s'est cassé l'ambulance n'a donc pas pu t'appeler pour te prévenir, appelons tous les hôpitaux de la région" ou encore "alors qu'elle était dans le bus, elle a cru reconnaître un ami de loin, et elle ne portait pas ses lunettes, du coup elle est sortie du bus avant l'arrêt prévu, et s'est rendue compte trop tard une fois que le bus était déjà trop loin que ce n'était pas son ami et là elle a glissé à cause de la pl...blablabla"

Heureusement la petite rappela sa mère, Lior se roula une cigarette, Inbal rappela son correspondant, le big boss entra aux toilettes, M. se fit un café et moi me déchausser de nouveau.

Je ne sais pas comment j'ai pu confondre les termes fille et mère ainsi que disparue et morte, un moment de fatigue je crois, la faim était trop grande, il me fallait un hamburger.
Je remercie seulement mon cerveau tout endormi qui n'avait pas à retrouver les termes "mes condoléances", qui aurait très surement provoqué un incident diplomatique.

22.3.14

Le grand méchant loup !

Le vendredi 23 janvier, j'ai passé le premier entretien d'embauche "important" de toute ma vie.
Il a duré à tout casser six minutes et s'est déroulé dans la quatrième dimension.
Je ne vais pas revenir sur le pourquoi du comment j'y étais, ni vous donner l'adresse des bureaux, mais seulement préciser que j'étais prévenue la veille pour le lendemain, que j'avais bizarrement super bien dormi et que j'y allais le coeur léger.

Rien de franchement dramatique dans cette histoire, pas de chute spéciale à attendre à la fin, ni de rebondissements extraordinaires, non, juste deux adultes assis dans un bureau qui discutent.

A la limite, la seule chose que je puisse dire de cet entretien, c'est que je rencontrais un des plus gros producteurs de film israélien, que je ne savais absolument pas quoi répondre à ce grand méchant loup, parce que je comprenais seulement 43% de ce qu'il disait...

Il a beau faire encore des films en 2014, le grand méchant loup est resté coincé dans les années 90. Il suffit de regarder, ses fringues, son téléphone, tout en fait...
Son bureau fait quatre mètres de long, 95% recouverts de paperasse, les cinq derniers pour cent sont destinés à son ordinateur, un PC tout pourri, dont l'écran mesure au moins 1 mètre de profondeur, avec un clavier aux touches illisibles et dont la souris fatiguée ne roule plus sur le tapis, elle rampe !
Il fume cigarette sur cigarette, personne n'a du le mettre au courant que depuis quelques années déjà, on ne peux plus fumer dans les lieux publics, ou c'est juste qu'il s'en fout peut-être...
Il fait un peu peur, il est grand, barbe blanche, cheveux courts même couleur, lunettes teintées, strabisme inexplicable (ce genre de strabisme où l'on ne sait pas quel oeil se barre en cacahuète, ni si le problème ne vient pas d'un manque de symétrie au niveau du nez, ou si juste en fait "il y a t-il vraiment un problème oui ou merde ?"), il a la voix de Jeanne Moreau, plus Moreau que Jeanne d'ailleurs et a le même rire que l'Oncle Ben's sauf qu'il n'a pas l'air du genre à vouloir t'inviter à manger une plâtrée de riz chez lui.

Après les banalités passées lors des deux premières minutes d'entretien (depuis combien de temps es tu Israel? tu parles bien anglais? tu as de l'expérience dans la production? comment ça va la famille hamdoula?) nous passons aux choses sérieuses: le salaire.
Mais depuis quand diable demande-t-on à quelqu'un combien il veut être payé par mois? 
Et pourquoi diable personne ne m'a prévenu qu'il allait me poser cette question?

Pas de panique, j'ai sauvé les meubles! Pour gagner du temps, j'ai d'abord prétendu ne pas avoir compris la question, mais le malin l'a reformulé en anglais pour être sûr de bien se faire comprendre. 
J'ai sorti alors un "7 000" (shekels) très naturellement, il a souri et m'a proposé le même chiffre mais avec 2 000 de moins, j'ai répondu sans réfléchir un "oui" enthousiaste et surtout complètement con... Une fois la connerie faite j'ai essayé de me rattraper en lui demandant net ou brut? Ce qui revenait exactement au même, puisque que net ou brut je n'avais même pas essayé de négocier une demi seconde!

Un sage m'a dit un jour "you live, you learn".

Rien à foutre! Au diable les varices! J'ai un travail qui me plaît et le sentiment d'être au service d'un cinéma indépendant qui se bat tous les jours pour sa survie, au milieu de vrais grands méchants loups: deux producteurs-distributeurs-magouilleurs qui raflent tout sur leur passage ! 

Moi, les grands méchants loups ne m'ont jamais fait peur, c'est les faibles agneaux qui les fuient qui me foutent plus la frousse...


23.12.13

Chicken Soup

Il y a quelques jours je suis tombée malade, rien de grave, petit rhume de rien du tout qui te fait couler du nez, parler comme Jeanne Moreau et qui te fait sentir comme un mollusque dépressif. Pas question de laisser traîner ça, j'opte pour l'option old school, la soupe de poulet !
Je me rends de très bon matin au super marché en bas de chez moi, directement au rayon boucherie pour m'acheter un bon morceau de poulet rempli de trucs vachement bien qui vont me sauver la vie. Une dame, âgée d'environ 50 ans, "blonde", pas très aimable, s'occupe de moi. 
"Bonjour Madame, voilà je suis malade j'aimerais me faire une soupe de poulet, je n'ai aucune idée de ce que je dois prendre, mais vous n'auriez pas une idée par hasard ?" Elle me regarde avec un sourire digne du requin vedette des Dents de la mer, et me demande de répéter car elle n'a rien compris. En même temps, elle n'était pas préparée à mon nez bouché, ma voix de gitane et mon accent français.
Je me racle élégamment la gorge et reformule ma demande. 
Elle me demande combien de personnes sont malades, je lui dis que la soupe est que pour moi, elle me montre alors une cuisse et haut de cuisse et me dit que ça suffira.
Au même moment, une femme âgée d'environ 167 ans, arrive avec son caddie à côté de moi. Cheveux plus blanc que blanc, aussi grande qu'un gnome, habillée tout de noir, elle s'appuie sur la vitrine en verre et y colle son nez pour analyser les morceaux de viandes proposés. La bouchère, pèse le morceau de poulet et me demande avant de l'emballer si le veux avec ou sans la peau. 
Ce à quoi je n'en ai aucune idée. Je lui réponds par un "euh euh euh euh euh" très éloquent, elle reformule la question, persuadée que je ne l'ai pas comprise. Je demande aux deux ou trois neurones qui me restent de s'activer pour me balancer la réponse, mais persuadée que ce sont les os du poulet qui sont remplis des trucs vachement bien pour vaincre le rhume et que la peau est juste bourrée de graisse je lui dis qu'il est préférable d'enlever cette dernière. Oh grand malheur qu'as donc tu fais Sara ?! La mémé centenaire décolle d'un geste vif son pif de la vitrine et s'approche de moi de façon très inquiétante. L'image des zombies dans le clip de Thriller de Michael Jackson me vient tout de suite en tête. Avec la même démarche, elle se dirige vers moi et me demande : "Pourquoi sans la peau ?". "Parce que ça sert à rien non ? C'est rendre la soupe grasse pour rien non ?" La mémé se retourne vers la bouchère et lui dis de ne pas enlever la peau, elle me regarde de nouveau, arrive tout près de moi et prend ma main pour s'en servir de support, comme pour éviter de tomber. "Il s'agit donc d'une soupe de poulet ?". En même temps, je viens de le dire mémé, tentée de lui répondre "non, non s'agit d'un poulet tikka massala" j'invoque les dieux de la patience et de la gentillesse de m'aider et lui dis que je suis malade et que je pensais donc me faire une soupe de poulet.


                                          Illustration, Sarah Vieille

La bouchère commence à emballer mon morceau, sans même me demander mon avis. La mémé soupire, me lance un regard noir et me dit en chuchotant : "Il faut absolument la peau du poulet pour ta soupe, sinon ta soupe ne sert à rien, comment comptes tu guérir sans ta soupe ?" Elle reste bloquée sur moi et semble attendre une réponse intelligente de ma part puis me relance : "Une soupe de poulet sans la peau du poulet, c'est comme un mec sans couilles tu comprends ?" Mon coeur ne fait qu'un bon, la bouchère explose de rire et une envie de vomir me vient subitement ! La mémé ne bronche pas et me regarde encore et encore. J'attrape à tâtons mon paquet sur le comptoir tout en reculant lentement à petit pas, persuadée qu'elle me changera en pierre si je me retourne. Elle finit par lâcher ma main et s'attrape tout de suite à la vitrine. Arrivée à une distance suffisante, je me tourne et pars en courant vers la caisse. 

Je retourne chez moi, traumatisée par cette comparaison et prépare ma soupe en essayant d'oublier ce que je viens d'entendre. Après deux heures de cuisson, je suis prête à avaler mon médicament. À peine la première cuillère dans ma bouche je repense à cette mamie millénaire qui me parle d'hommes sans testicules et éclate de rire, me brûle et m'étouffe en même temps. 
Je reprends mes esprits et finis par ingurgiter pendant un jour et demi de traitement près de trois litres de soupe. 

Tour à tour ont déboulé dans son corps, Cruella, Tati Danielle et Lady Marmelade...

Longue vie à toi Medusa, j'ai la patate du siècle !!


30.11.13

Kawa


Le café c'est important. Sans le café la journée devient soit une journée bien pourrie, soit un calvaire. Pas d'autre option possible. Toi qui me lis et qui aimes le café, tu me comprendras. Toi qui me lis et qui ne connais pas le plaisir de la caféine, va te faire un thé et ne reviens jamais.

Il est 8h50 quand je pars à l'arrache de chez moi pour me rendre chez un avocat afin de signer un contrat de plus d'un milliard de dollars avec une boîte de production israélienne qui m'a désigné comme collaboratrice direct (mito). 
Je suis dans la rue, me dirige vers l'arrêt du bus et j'ai comme l'impression d'avoir un peu la tête dans le cul. "Ciel ! Mon café !": j'ai bien pensé à le préparer mais j'ai tout simplement oublié de le prendre.
La vue d'un kiosque me rassure, même si je rate le bus, rien à faire, j'aurais quand même les yeux en face des trous pour signer le contrat qui changera le cours de l'histoire du cinéma israélien (mito). 
"Bonjour Monsieur, un café "shakhor" à emporter !" (café shakhor = équivalent du café turc, sans le goût de cardamome, avec le marc de café qui reste au fond du verre, avec le marc de café qui reste coincé entre les dents). Le café vous l'aurez compris, qui vous réveille rien qu'à le sentir et qui n'est pas fait pour les faibles de notre monde. 
Je sors le coeur vaillant, café à la main et traverse la rue pour prendre le bus.
Mais un dilemme se pose. Le café est très chaud, le verre bien rempli, le bus arrive dans quelques minutes, le trajet ne dépasse pas sept minutes et mon rendez vous se trouve à quelques mètres de la station, est ce que je devrais retirer le couvercle en plastique, souffler sur le café pour qu'il se refroidisse le plus vite possible, pour avoir le temps d'en profiter un peu ? Ou est-ce que je devrais laisser le couvercle, souffler quand même par le mini trou et ne pas risquer de m'en foutre partout pendant le trajet ?
Je décide de me fier à mon instinct : voir quel est le chauffeur du bus afin d'évaluer le taux de risque et la nécessité ou pas de couvrir mon café. Oui parce qu'après avoir pris presque tous les jours la même ligne, on commence par connaître la conduite de chacun.
Le bus arrive, je vérifie d'un coup d'oeil qui conduit...c'est Dennis. Dennis n'est pas son vrai nom, parce que j'ai jamais franchement tapé la discute avec lui je n'en ai aucune idée, mais Dennis c'est le nom que je lui ai donné, par rapport à Dennis Hopper dans le film Easy Rider. Il ne lui ressemble absolument pas, mais à l'air d'oublier que le bus n'a pas les mêmes proportions qu'une moto, je trouve que ça lui collait bien.
Bref, Dennis est un psychopathe de la route, il va vite, il n'a aucune patience et double à tout bout de champs, Dennis est sympathique, toujours la petite blague quand tu rentres dans le bus, le sourire qui réchauffe le coeur et les lunettes de soleil à effet miroir qui te permets du coup de te checker une dernière fois avant de rentrer dans la jungle de Tel Aviv.

Je choisis donc avant de rentrer dans le bus fou de recouvrir mon café, j'opte pour la sécurité avant de penser à mon petit plaisir. Pas de place pour m'assoir, je me faufile au milieu et me tiens à un des sièges occupé par un vieux monsieur. 
Oui mais voilà, moi, ce couvercle en plastique qui sert à garder la chaleur du café et à le boire en toute sécurité je l'aime pas et je ne l'ai jamais aimé. Celui qui a inventé ce truc devait être très atteint, voir carrément sadique, parce qu'on ne voit absolument pas le niveau du café et qu'on ne sait jamais quand le contact entre café et bouche se fera. On stress, on se prépare mais rien à faire, on se brûle. 
Voulant être capable de m'exprimer devant la grande assemblée qui m'attend chez l'avocat (mito) je retire délicatement le couvercle et change le verre de main, afin de ne pas brûler en cas de chute, le crâne tout lisse de notre vieil homme. Dennis est en pleine descente, son coeur s'emballe mais reste néanmoins dépendant de la circulation, il ne peut rouler cheveux au vent comme il le souhaite et ça, ça le perturbe. Alors Dennis conduit au frein, sans m'avoir concerté avant...
Après le premier arrêt je comprends alors que je vais devoir vite boire mon café, car le bus se remplit de plus en plus et Dennis devient de plus en plus nerveux. La virée continue et les gens qui entrent pigent rapidement qu'il faut éviter de rester dans mon périmètre. L'air de rien, lunettes de soleil sur le nez, je feinte de gérer parfaitement la situation, il ne me reste que deux arrêts et mon café est à moitié rempli. Fière de moi, je baisse ma garde et ne fais pas attention au papi à ma droite qui se lève, me bousculant légèrement, mon café se déverse un peu malencontreusement par terre, sans toucher la moindre personne. Ouf, j'évite la casse !

La fin du trajet se fait sereinement et je descends du bus la tête haute. Sur le court chemin qui me mène au cabinet, je reprends quelques gorgées et avant de m'introduire dans l'immeuble repère une poubelle pour jeter mon gobelet. Les poubelles publiques en Israel sont toutes couvertes par un cendrier géant. La poubelle est donc accessible sur les côtés.
J'ai mal calculé mon coup et ai introduit le verre trop haut, je ne voulais pas toucher avec ma manche le moindre centimètre de cette poubelle. 
Le drame. Non seulement j'ai été surprise quand le verre a cogné la paroi du haut, mais j'ai aussi paniqué quand le reste du café (et son marc) s'est déversé sur ma main et alors le réflexe le plus con au monde m'est venu, au lieu de mettre mon bras vers le bas je l'ai levé pour vérifier si ma manche n'avait pas été tachée, et les quelques gouttes du café se sont introduites vicieusement à l'intérieur de ma manche.
Je suis donc arrivée comme une pouilleuse et sur les nerfs dans le bureau de l'avocat, c'est pour cette raison que les représentants de la boîte de prod n'ont pas voulu me désigner au poste que je visais et que j'ai fini seulement par signer le bail de mon nouvel appartement :)


19.11.13

Merci Mahmoud !

Chers lecteurs, vous qui êtes des millions à me suivre, je vous prie de m'excuser pour cette longue absence, vous aussi vous m'avez manqués....
Pour me faire pardonner, un roman, qui vous prendra 3 jours à lire.


Il y a quelques semaines je travaillais en tant que "régisseuse"/"runneuse"/chauffeur sur le tournage d'un film français tourné dans le nord d'Israel, près de Haifa. 
Mon boulot était simple : le matin, aller chercher les actrices et les emmener sur le tournage. Le soir, les ramener chez elles. Entre, courir de partout pour aller chercher les éclairages qui manquent et d'autres trucs complètement inutiles mais qui servent tout de même à sauver la face du monde.
Nous sommes un lundi, il est 17h30 , il fait déjà nuit et je dois aller chercher dans un magasin des cartouches d'imprimantes.

Le magasin, situé à 15min en voiture de notre lieu de tournage, ferme à 19h. 
Je n'ai pas de GPS, je n'ai pas d'application qui fait GPS, je n'ai pas mes lunettes car je les ai oublié (seulement celles de soleil qui sont à ma vue) je n'ai pas d'application qui fait lunettes. Je ne connais pas le chemin et le régisseur avant de m'envoyer en mission me dit : "Putain Sara on est dans la merde faut absolument qu'on imprime des contrats pour les figurants ce soir sinon on...." je ne me souviens plus de la suite, je suis restée bloquée sur les mots "putain" "absolument" "contrats".
Avant de prendre la route vers le néant, je me rends sur google maps afin d'écrire mon itinéraire et prends en photo la carte. Le chemin n'avait pas l'air si compliqué que ça, le magasin étant sur l'avenue principale de la ville. J'avais 1h15 devant moi, ce qui me laissait une marge d'environ 45 minutes au cas où je me perdais. J'étais confiante, innocente...

Feuille de route en main, lunettes de soleil sur le pif je file en voiture accomplir cette mission. 
Dix minutes plus tard je suis perdue, mais "c'est pas grave" me dis-je, vu qu'il me reste encore beaucoup de temps pour arriver à destination. 
Je m'arrête dans une station service pour demander mon chemin. Erreur de ma vie. La fille qui y travaille me dit que je dois faire demi tour, je dois reprendre le tunnel (ce qui m'a coûté la modique somme de 2€) pour retourner sur mes pas. Je la crois. Erreur de ma vie.
Je suis ses indications et redemande mon chemin à un automobiliste à la sortie du tunnel.
Lui "t'as pas WAZE ?" (application inventée par les israéliens, vendue plus d'un milliard de dollars à Apple, qui fait GPS tout en tenant compte de la circulation en temps réelle, il est donc logique que tout les israéliens la possède et en font l'application de leur vie du genre : "et t'aurais pas des pansements sur toi ? Je viens de me couper avec cette feuille de papier." "Non j'en ai pas mais j'ai WAZE !") Bref, après lui avoir répondu que "non je n'avais pas WAZE et je vis très bien sans" il m'indique que je suis dans la mauvaise direction et que je dois prendre le tunnel. Je lui dis que la nana de la station service vient de me dire le contraire. Il me regarde l'air de "tu crois qui, elle ou moi ?". 
Ni une ni deux, je passe la première, fais demi-tour, repasse le tunnel...enfin non...parce que le tunnel je le retrouve plus. Je m'engage sur une route qui monte, monte, monte, personne dans la rue, pas d'indication, j'appelle le régisseur et lui demande le téléphone du magasin pour qu'un des mecs qui y travaille m'indique le chemin. Mes nerfs montent, montent, montent et je tombe sur Mahmoud, qui me répond au téléphone avec une pointe d'accent arabe et une voix assez haut perchée. 
Folle de rage (pas contre lui mais fallait que ça sorte) et les sanglots dans la gorge, je lui dis que je suis complètement paumée, que personne ne m'indique le bon chemin, que j'ai des envies de meurtre, que si je n'arrive pas à temps pour les cartouches je vais me faire virer, je vais rater ma vie. 
Ce à quoi Mahmoud me répond en riant : "Calme toi motek (chéri) calme toi ! Mais dis moi, tu es française ?" Ce à quoi je lui réponds : "A ton avis ? Avec ce putain d'accent qui me colle ?!" Mahmoud décidément en grande forme, appelle tous ses collègues et met le haut-parleur. Il me dit de lui décrire la route et de demander à la première personne que je vois de me préciser où je suis exactement. Je lui dis qu'il n'y a personne dans ce bled et que la route ne cesse de monter. Il comprend que je suis sur la bonne route, sauf que c'est celle de CHRA, celle qui fait le tour de tous les bleds. J'entends un des ses camarades émettre un son qui évoquait un certain : "Ouhhhhhhh elle arrivera sûrement dans deux semaines à cette allure". 


                                Illustration, Sarah Vieille (la plus belle)

Le destin aidant, je sens que je m'approche d'un centre ville, Mahmoud ne cesse de me répéter "demande à quelqu'un", j'approche d'une sortie de supermarché et demande de l'aide à un homme debout, un sac plastique à la main. Mon approche était celle-là : "Je vous en supplie je suis paumée, j'ai quelqu'un au téléphone qui peut m'aider mais moi je peux pas l'aider à m'aider alors si vous pouvez l'aider à m'aider ça serait génial". Mahmoud mort de rire. Moi aussi parce que je pète un câble. Mon interlocuteur est quant à lui inutile, parce que bourré. Mahmoud me dit "casse toi et demande à un autre". Quelques mètres plus loin, un homme charge sa voiture de courses, même approche, il saisi mon portable et parle avec Mahmoud. Avant de lui dire où je me trouve, je l'entends dire : "Oui elle a l'air un peu..." Un peu quoi ? Paniquée ? Perdue ? Folle ? Psychopathe ? En vérité les quatre était plausibles, car ma tignasse de sauvageonne et mes lunettes de soleil au nez alors qu'il faisait nuit, ne m'aidaient en rien dans ma quête. L'homme raccroche, me redonne le téléphone et commence sa phrase par un "Takshivi !" (écoute!) sec, dur, effrayant et russe. Il m'indique encore mieux que n'importe quelle carte le chemin à trois reprises et me dit de rappeler Mahmoud quand j'arrive au niveau de l'université. 
Je le remercie et suis tellement rassurée qu'en partant je lui lance un "neshikot" (bisous). 

Chemin parfaitement indiqué, je rappelle Mahmoud, qui me félicite, continue à m'indiquer la route et me demande entre deux feux rouges si je parle avec un kit mains libres. Je lui dis que non, mais que je suis extrêmement prudente et une très bonne conductrice. Je le remercie de prendre le temps de m'aider et lui demande si je ne le mets pas en retard pour un dîner romantique avec sa copine. Erreur de ma vie. Mahmoud me dit que c'est un plaisir de m'aider, que non il n'est pas attendu et qu'il serait ravi de m'emmener prendre un verre. "Oh c'est gentil de ta part mais je dois retourner illico presto sur le tournage après donc non". Il me fait la blague du siècle en me disant qu'on peut passer notre date au téléphone jusqu'à ce que j'arrive à la boutique.
Miraculeusement je vois pour la première fois depuis une heure, le panneau qui indique la ville (dont je ne me souviens même plus du nom !). Je pousse un cri de déglingo de la tête, lui aussi, ses collègues aussi, et j'arrive enfin au magasin. Par le manque de visibilité, moi la super conductrice, je manque de défoncer la chaîne qui empêche l'accès au parking, mais Mahmoud m'accueille devant ma voiture, 17 ans à tout casser, mignon comme tout et très curieux de voir qui j'étais ! En trente secondes j'avais les cartouches dans ma voiture, un de ses collègues m'explique 4 fois le chemin du retour, que je trouve facilement. Suis de retour en 13 minutes chrono sur lieu de tournage et reviens comme une superwoman cartouches à la main, mission accomplie, tête haute. 


Seul Mahmoud, ses copains, le bourré, le russe et moi-même savons ce qui s'est réellement passé ce soir là. 

Sans Mahmoud je ne serais pas là, virée, je me serais sans doute retrouvée à dormir sous un pont, à me nourrir de miettes de felafel volées aux mouettes imaginaires de Tel Aviv....

Mahmoud, si tu me lis, je t'aime.


19.10.13

The cake

L’avantage avec la nouvelle technologie c’est que l'on vit les moments de solitude d'un proche comme si on y était. Mon père, qui a été prof d’optique, opticien, père de deux merveilleuses filles, mari de la plus sympathique des femmes, qui sait pêcher avec une bouteille en plastique, qui sait rester plus de quatre heures sous l’eau sans respirer, qui danse avec les requins et parle avec les oursins, oui, mon père qui a arrêté l’école avant ses 16 ans et qui sait épeler correctement le mot Rhododendron, ne sait pas faire un gâteau au yaourt.
Il n’en est même pas proche, plus il essaye plus il s’en éloigne…
Il y a deux drames dans cette affaire. Le premier : mon père cuisine merveilleusement bien, il a le don de transformer tout ce qu’il touche en or, même un vulgaire bout de navet, car il l’écoute, le navet, mon père, il sait ce qu’il lui faut ! Le deuxième drame, c’est que je suis la spécialiste du gâteau au yaourt,  il aurait donc suffit de me demander la recette. En parlant de recette, qu’est ce qui a pu donc clocher dans cette dernière, pour pourrir la première tentative de mon père ? « Recette ? Mais de quoi parles tu Sara ? Je me suis inventé chef pâtissier et me suis dis que je pouvais, moi Neptune roi des loups de mer, préparer ce gâteau sans lire auparavant ne serait ce qu’UNE recette. Et en plus je ne voulais pas te déranger. »
Il n’y a rien à comprendre, aucun mystère à dévoiler, aucune explication pour cette infamie.

Papa, si je dévoile la conversation écrite que nous avons eu le jour de la tragédie, ce n’est pas pour me foutre de ta gueule, non, c’est pour te montrer à quel point je ne peux plus entendre ce « je ne voulais pas te déranger », qui non seulement à ruiné toutes tes chances de devenir le roi des fourneaux mais qui n’a pas non plus ravi les papilles de tes proches. Pas besoin de le goûter pour voir (selon la photo que tu m’as envoyé, sans doute fier de toi) qu’il était raté. 

Tout commence par une photo de la préparation du gâteau et un commentaire, qui respire déjà l’insouciance du personnage…
Lui : « Si ça marche je ne saurai pas pourquoi. Et si ça rate non plus. Donc pourvu que ça marche. »
Moi : En voyant la pâte. «T’as mis les œufs déjà ? »
Lui : « Pourquoi il en faut ? »
Moi : « T’es pas sérieux là papa ? »
Lui : « Non je plaisante pas. »
Moi : « Papaaaaaa. »
Lui : « Combien ? »
Moi : « Ahah ! Trois, c’est bien. »
Lui : « C’est quoi ? Une tortilla ? »
Moi : Exaspérée « C'est un gâteau, papa, un gâteau...»

Là, Monsieur me balance une vanne car il pense encore que je le fais marcher. Il se reprends avec : « C’est parti pour les œufs. »
Moi : « Papa tu l’as prise où ta recette ?? T’as mis un demi pot d’huile de tournesol ? »
Lui : « Non un pot entier. Prise nulle part, j’ai pas cherché. »
Moi : « Pourquoi tu m’as pas demandé ??!! »
Lui : « Parce que je ne voulais pas déranger mais voilà, tu participes. »

Mais c’est trop tard, le massacre est déjà fait, j’apprendrais par la suite que le demi paquet de levure fut remplacé par « deux pincées » et je doute encore de la quantité de sucre et de farine qu’il a décidé de mettre. Une photo du gâteau une fois « cuit » me sera envoyée, pour éviter tout drame familial je l’efface très vite et tente d’oublier cet accident.

Ô toi Dieu des Gâteaux, laisse lui une chance, le pauvre innocent ne savait pas, il ne voulait pas profaner ta pâte, je paierai sa dette et je promets de lui apprendre à se servir de ses dix doigts pour préparer le gâteau le plus FACILE du monde.